Transduction


title: Transduction
subtitle: L’ontogenèse même
lang: fr

À propos du concept

{: concept .intro }

Sources

{: #sources .intro }

Signification en génétique

En biologie, la transduction réfère à la transmission de matériel génétique
d’un micro-organisme à l’autre par un agent viral, notamment dans le cas d’un
bactériophage qui se nourrit de bactéries pour en absorber le code génétique et,
par là, se transformer. (Zinder & Lederberg, 1952)

Définition simondonienne

Nous entendons par transduction une opération physique, biologique, mentale,
sociale, par laquelle une activité se propage de proche en proche à
l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration
du domaine opérée de place en place : chaque région de structure constituée
sert à la région suivante de principe de constitution, si bien qu’une
modification s’étend ainsi progressivement en même temps que cette opération
structurante.
{: title=“ILFI, p.32” }

… ; il y a transduction lorsqu’il y a activité partant du centre de l’être,
structural et fonctionnel, et s’étendant en diverses directions à partir de ce
centre, comme si de multiples dimensions de l’être apparaissaient autour de ce
centre ; la transduction est apparition corrélative de dimensions et de
structures dans un être en état de tension préindividuelle , c’est-à-dire d’un
être qui est plus qu’unité et plus qu’identité, et qui ne s’est pas encore
déphasé par rapport à lui-même en dimensions multiples.
{: title=“ILFI, p.33” }

La possibilité d’employer une transduction analogique pour penser un domaine
de réalité indique que ce domaine est effectivement le siège d’une
structuration transductive. La transduction correspond à cette existence de
rapports prenant naissance lorsque l’être préindividuel s’individue ; elle
exprime l’individuation et permet de la penser ; c’est donc une notion à la
fois métaphysique et logique ; elle s’applique à l’ontogenèse et est
l’ontogenèse même
.
{: title=“ILFI, p.33” }

Transduction transindividuelle

L’entrée dans le collectif doit être conçue comme une individuation
supplémentaire, faisant appel à une charge de nature préindividuelle qui est
portée par les êtres vivants. Rien ne permet en effect d’affirmer que toute la
réalité des êtres vivants est incorporée à leur individualité constituée ; on
peut considérer l’être comme un ensemble formé de réalité individuée et de
réalité préindividuelle : c’est la réalité préindividuelle qui peut être
considéré comme réalité fondant la transindividualité. Une telle réalité n’est
nullement une forme en laquelle l’individu serait comme une matière, mais une
réalité prolongeant l’individu de part et d’autre, comme un monde en lequel il
est inséré en étant au même niveau que tous les autres êtres qui composent ce
monde. L’entrée dans le collectif est une individuation sous forme de
collectif de l’être qui comportait une réalité préindividuelle en même temps
qu’une réalité individuelle.

Transduction contre classification

Une telle doctrine suppose que l’ordre des réalités soit
saisi comme transductif et non comme classificatoire. Les grandes divisions du
réel, notées par les genres dans la théorie hylémorphique, deviennent les
phases, qui ne sont jamais totalement simultanées dans l’actualisation, mais
existent pourtant soit sous forme d’actualité structurale et fonctionnelle,
soit sous forme de potentiels ; le potentiel devient une phase du réel
actuellement existant, au lieu d’être pure virtualité. Par contre, ce qui, en
thèorie hylémorphique de l’être individué, était considéré comme pure
indétermination de la matière, devient série ordonnée transductive ou
incompatibilité de plusieurs séries transductives. L’ordre transductif est
celui selon lequel un échelonnement qualitatif ou intensif s’étale de part et
d’autre à partir d’un centre où culmine l’être qualitatif ou intensif : telle
est la série des couleurs, qu’il ne faut pas essayer de cerner par ses limites
extrêmes, […] mais qu’il faut prendre en son centre […] La série des
couleurs doit être saisie d’abord dans son milieu réel, variable pour chaque
espèce ; … ; pour l’être individué, il n’y a pas de matière qui soit pure
indétermination, ni de diversité infinie du sensible, mais la bipolarité
première des séries transductives unidirectionnelles. Au lieu d’une relation
entre deux termes, la série transductive se constitue comme terme central
unique se déphasant en deux directions opposées par rapport à lui-même,
s’éloignant de lui-même en qualités complémentaires.
{: title=“IPC, conclusion, pp.217-218” }

Déduction, induction, transduction

La transduction n’est donc pas seulement démarche de l’esprit; elle est aussi
intuition, puisqu’elle est ce par quoi une structure apparaît dans un domaine
de problématique comme apportant la résolution des problèmes posés. Mais à
l’inverse de la déduction, la transduction ne va pas chercher ailleurs un
principe pour résoudre le problème d’un domaine: elle tire la structure
résolutrice des tensions mêmes de ce domaine, comme la solution sursaturée se
cristallise grâce à ses propres potentiels et selon l’espèce chimique qu’elle
renferme, non par apport de quelque forme étrangère. Elle n’est pas non plus
comparable à l’induction, car l’induction conserve bien les caractères des
termes de réalité compris dans le domaine étudié, tirant les structures de
l’analyse de ces termes eux-mêmes, mais elle ne conserve que ce qu’il y a de
positif, c’est-à-dire ce qu’il y a de commun à tous les termes, éliminant ce
qu’ils ont de singulier; la transduction est, au contraire, une découverte de
dimensions dont le système fait communiquer celles de chacun des termes, et
telles que la réalité complète de chacun des termes du domaine puisse venir
s’ordonner sans perte, sans réduction, dans les structures nouvelles
découvertes; la transduction résolutrice opère l’inversion du négatif en
positif
: ce par quoi les termes ne sont pas identiques les uns aux autres,
ce par quoi ils sont disparates (au sens que prend ce terme en théorie de la
vision) est intégré au système de résolution et devient condition de
signification; il n’y a pas appauvrissement de l’information contenue dans les
termes ; la transduction se caractérise par le fait que le résultat de cette
opération est un tissu concret comprenant tous les termes initiaux; le système
résultant est fait de concret, et comprend tout le concret; l’ordre
transductif conserve tout le concret et se caractérise par la conservation de
l’information
, tandis que l’induction nécessite une perte d’information; de
même que la démarche dialectique, la transduction conserve et intègre les
aspects opposés; à la différence de la démarche dialectique, la transduction
ne suppose pas l’existence d’un temps préalable comme cadre dans lequel la
genèse se déroule, le temps lui-même étant solution, dimension de la
systématique découverte: le temps sort du préindividuel comme les autres
dimensions selon lesquelles l’individuation s’effectue
.
{: title=“ILFI, p.34” }

Épistémologie allagmatique

Le substantialisme de la particule et l’énergétisme de l’onde s’étaient
développés assez indépendamment l’un de l’autre au cours du XIXe siècle, parce
qu’ils correspondaient, au début, à des domaines de recherches assez éloignés
pour autoriser l’indépendance théorique des principes d’explication. Les
conditions historiques de la découverte de la mécanique ondulatoire sont d’une
extrême importance pour une épistémologie allagmatique, dont le but est
d’étudier les modalités de la pensée transductive, comme seule véritablement
adéquate pour la connaissance du développement d’une pensée scientifique qui
veut connaître l’individuation du réel qu’elle étudie. Cette étude
épistémologique de la formation de la mécanique ondulatoire et du principe de
complémentarité de Bohr voudrait montrer que, dans la mesure où il s’est agi
de penser le problème de l’individu physique, la pensée déductive pure et la
pensée inductive pure ont été tenues en échec, et que, depuis l’introduction
du quantum d’action jusqu’au principe de complémentarité de Bohr, c’est une
logique transductive qui a permis le développement des sciences physiques.
Nous allons en ce sens essayer de montrer que la « synthèse » des notions
complémentaires d’onde et de corpuscule n’est pas en fait une synthèse logique
pure, mais la rencontre épistémologique d’une notion obtenue par induction et
d’une notion obtenue par déduction ; les deux notions ne sont pas
véritablement synthétisées, comme la thèse et l’antithèse au terme d’un
mouvement dialectique, mais mises en relation grâce à un mouvement
transductif de la pensée ; elles conservent dans cette relation leur caractère
fonctionnel propre. Pour qu’elles puissent être synthétisées, il faudrait
qu’elles soient symétriques et homogènes. Dans la dialectique à rythme
ternaire, en effet, la synthèse enveloppe la thèse et l’antithèse en
surmontant la contradiction; la synthèse est donc hiérarchiquement,
logiquement et ontologiquement
supérieure aux termes qu’elle réunit. La
relation obtenue au terme d’une transduction rigoureuse maintient au contraire
l’asymétrie caractéristique des termes. Ceci a pour conséquence que la pensée
scientifique relative à l’individu, physique d’abord, biologique ensuite,
comme nous tenterons de le montrer, ne peut procéder selon le rythme ternaire
de la dialectique pour laquelle la synthèse est thèse d’une triade plus
haute : c’est par extension de la transductivité que la pensée scientifique
avance, non par élévation de plans successifs selon un rythme ternaire. En
raison du principe de complémentarité, la relation, devenue
fonctionnellement symétrique, ne peut présenter par rapport à un autre terme
une asymétrie qui puisse être le moteur d’un cheminement dialectique
ultérieur. En termes de pensée réflexive, la contradiction est, après
l’exercice de la pensée transductive, devenue intérieure au résultat de la
synthèse (puisqu’elle est relation dans la mesure où elle est asymétrique). Il
ne peut donc y avoir une nouvelle contradiction entre le résultat de cette
synthèse et un autre terme qui serait son antithèse. Dans la pensée
transductive, il n y a pas de résultat de la synthèse, mais seulement une
relation synthétique complémentaire
; la synthèse ne s’effectue pas; elle
n’est jamais achevée ; il n’y a pas de rythme synthétique, car, l’opération de
synthèse n’étant jamais effectuée ne peut devenir le fondement d’une thèse
nouvelle.
Selon la thèse épistémologique que nous défendons, la relation entre les
différents domaines de la pensée est horizontale. Elle est matière à
transduction, c’est-à-dire non à identification ni à hiérarchisation, mais à
répartition continue selon une échelle indéfinie.
Les principes que nous allons tenter de dégager de l’examen épistémologique
devront donc être considérés comme valables s’ils sont transductibles à
d’autres domaines, comme celui des objets techniques et celui des êtres
vivants. L’éthique elle-même devra apparaître comme une étude de la relation
propre aux êtres vivants (nous employons ici l’expression « propre aux êtres
vivants » alors qu’en réalité il n’y a pas en toute rigueur de relation
directe aux êtres vivants: il vaudrait mieux dire pour être exact: « à la
mesure des êtres vivants », pour indiquer que ces caractères, sans être
propres aux être vivants, se manifestent de manière beaucoup plus importante
en eux qu’en tout autre être, étant donné qu’ils correspondent à des variables
dont les valeurs ou les systèmes de valeurs passent par un maximum pour ces
êtres). Il est certain que dans une pareille doctrine, les problèmes relatifs
aux frontières entre les « règnes » de la Nature, et à plus forte raison entre
les espèces, sont beaucoup moins capitaux que dans une théorie utilisant les
notions de genre et d’espèce. On peut en effet concevoir tantôt une transition
continue entre deux domaines qui ne pourront être séparés que par le choix
assez arbitraire de grandeurs moyennes, tantôt des seuils (comme le seuil de
fréquence de l’ effet photoélectrique), qui manifestent non une distinction
entre deux espèces, mais simplement une condition quantique de production d’un
effet déterminé. La limite n’est plus alors douée de propriétés singulières et
mystérieuses; elle est quantifiable, et constitue seulement un point critique,
dont la détermination reste parfaitement immanente au phénomène étudié, au
groupe d’êtres analysés.
{: title=“ILFI, pp.111-112” }