@ingrid m’a fait parvenir ce lien avec insistance : par Signal et par email. Comme il s’agit d’un lien temporaire et que la vidéo ne semble pas enregistrable (quel gâchis de ressources), je me suis décidé à la visionner séant.
Je partage avec vous mes notes à destination d’Ingrid… Elles ne sont pas filtrées, désolé pour monsieur Miller et ses patient·e·s qui ont décidé de se prêter au jeu…
Aha ! Merci pour ce moment d’introspection jubilatoire
Incroyable, je n’avais pas entendu parler du lapsus du Premier Sinistre le 7 avril lors de l’annonce de la continuation du confinement : « faire en sorte que le circus virule ».
Alors là je suis scotché.
Impossible de télécharger la vidéo du coup je la regarde maintenant. Grrrr. Je hais la télé.
C’est très étrange de voir ça, pour plein de raisons :
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c’est utile de comprendre comment fonctionne une séance de psychanalyse, quelle est la démarche…
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c’est surprenant de voir ces milieux tout-à-fait parisiens, éduqués, bourgeois, avec leurs modes de fonctionnement
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la construction de soi apparaît dans l’image : ils ont tous un côté narcissique prégnant : le photographe avec sa pile de livres semble dire : voilà ce que j’ai sur la patate (mais ne vous inquiétez pas, je ne les ai pas tous lus : la plupart sont inaccessibles sous la pile) ; le clown est certainement le plus habitué à se donner en spectacle, son narcissisme se traduit par la mise en scène de son « confinement privilégié »
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Macron « plus nous respecterons les règles, plus nous sauverons de vies » (léchage de babine…) : juxtaposé au “circus virule” du Premier, cela devient carrément obscène.
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mais quand même le plus narcissique c’est Miller : le passage avec son ex-femme est tonitruant. La photo du coup où elle le regarde amoureusement, j’ai l’impression de l’avoir vue mille fois : le mâle regarde la caméra avec son sourire et son regard serein tandis que la femelle fond sur place et n’a d’yeux que pour son mâle ; la même photo de mes grands-parents paternels trône sur le buffet de mes parents, et j’en ai vu dans toutes les maisons : ce doit être, comme le portrait du Président-de-notre-Présipauté, un artefact obligatoire dans les sociétés patriarcales contemporaines. Et puis elle, dans son coin, en bleu roy à côté de son radiateur rose, ces deux pommes verte et rouge… C’est tellement cinématographique : je me demande si et comment ils se sont concertés pour fabriquer ces images. Verticalité des images professionnelles – photographe ou derrière la caméra. Du coup, téléphone ou vidéophone ? Ou bien est-ce que la psychanalyse (Millerienne ?) consiste à tout prendre comme une mise en scène ? Du coup il m’est difficile de capter ce qui relève de la thérapie, du jeu ou du simulacre.
Quel beau moment pédagogique d’ailleurs cette conversation où elle définit la psychanalyse : « … il n’y a pas … il n’y a pas… Ce qui compte dans la psychanalyse c’est le lien de parole et d’offrir la possibilité à un sujet de venir dire ce qui ne va pas. » ; suivi du commentaire sur « l’hétérodoxie » de la pratique du téléphone dans la psychanalyse : « je n’y aurais jamais pensé avant ». Pardon ? N’a-t-elle donc pas d’ami·e·s avec qui elle échange ses problèmes par téléphone ? Il me semble que la plupart des gens font ça. Et puis, entre nous, je t’ai vu utiliser le téléphone bien avant le confinement… Non-seulement hétérodoxe, voire hérétique, tu serais donc une pionnière, très chère Ingrid ! Est-ce que tu vois comme moi cette espèce de cocon bourgeois d’entre soi aveuglant de ouate et de taffetas ?
« Quand j’avais vingt ans et que moi-même je m’allongeais sur un divan… » L’intonation est parfaite, on sent les boules de ouate sous les joues. Ce doit être ça, la différence (confinée) entre le mode divan et le monde vivant. Là encore je me souviens que tu le poses comme un accessoire, pas comme un dispositif. Il apparaît clairement dans la vidéo que monsieur Miller n’a pas été étouffé par le conditions du confinement dans sa maison grande et claire, avec son jardin bien entretenu… Contrairement à son patient photographe, le pauvre, qui annonce être « moins angoissé » dans un décor d’une densité terrifiante : on le croirait retranché dans un placard où il s’est immiscé entre tous ces objets en faisant très attention à n’en toucher aucun. Écoute ce que je dis, pas ce que je montre – il la porte toujours à son poignet : à quoi peut-elle bien lui servir.
Je trouve très amusant cet aspect de la séance téléphonique filmée. J’imagine que chacun·e conservait les images pour soi, jusqu’au moment du montage. J’espère que Miller va en toucher deux mots, sans quoi il devient évident que les images parlent d’autant plus que chaque patient choisit son décor pour la séance. Ainsi, plutôt qu’un parlêtre sur un divan, il devient « montrêtre » – ou « mon traître », se dévoilant, nu et squelettique devant son psychanalyste encore plus que par sa présence figée en mode sarcophage sur le divan… Le dispositif en est-il plus riche ? Il me semble que le dévoilement est en tout cas plus spectaculaire.
« ça ne reprendra pas comme avant… Et peut-être que je n’aurai pas envie que cela reprenne comme avant. » dit le photographe. Bienvenue dans le monde merveilleux de la forge des habitudes. Et aujourd’hui, est-ce comme avant ? Je crains que oui, malgré ce fil tiré depuis « l’avant et l’après la séance » ; il me semble que la stratégie du choc fonctionne et je vois peu de changement si ce n’est cette espèce de crainte permanente de la mort, plus invisible que jamais comme elle est mise en scène derrière les statistiques non-qualifiées – un patient peut en cracher (sur) un autre.
Est-ce le signe d’un bon montage ? « Le divan me manque » annonce la professeure des écoles pour répondre à la question de son psychanalyste – d’ailleurs il me semble qu’il instrumentalise son sujet à des fins personnelles, à savoir pour continuer son expérimentation de psychanalyse par téléphone, c’est bien ça l’objet du film. Cela contraste avec ce que disait juste avant l’infirmière : que l’expérience du psychanalyste importait peu puisque c’est de la patiente qu’il s’agit. C’est là tout l’intérêt du divan j’imagine : faire croire aux patient·e·s qu’il n’y a pas de relation entre elleux et leur psy que d’objectivité – voire de passivité. Je n’ai jamais lu Freud et j’imagine qu’il n’a pas mis en place ce dispositif par hasard. Mais si c’est le cas il me semble que le téléphone offre un dispositif similaire : il ne manquerait qu’une voix monocorde pour parfaire l’objectivation de la relation ;D
Le clown est drôle ou pathétique lorsqu’il énonce que le quotidien pâtit à l’imagination. Il n’a alors et ensuite aucune pensée pour sa femme qui elle, hors-confinement, se trimballe ce quotidien pour lui, pour lui permettre de libérer son imaginaire dans la solitude (« c’est dans la solitude que la fantaisie arrive »). Gasp
« L’angoisse augmente au fur et à mesure que le ‘déconfinement’ approche, paradoxalement. » Et non ! C’est une conséquence bien choisie, elle, puisque les mots d’ordre ont été martelés sans arrêt pendant tout ce temps d’isolement, d’interruption momentané de l’imaginaire. C’est le résultat escompté : que la population soudain ne perçoive le monde que par la menace invisible du virus. Et c’est gagné : on ne parle plus que de ça, le virus a fixé l’angoisse. Bravo les politiques !
La grand-mère statuette, le pouvoir derrière le trône… Oui, le dispositif est bien différent, il dévoile le soi. Évidemment, se déplacer vers plutôt que d’attendre change tout. Change tout ? Pas pour le spectateur : lui reste, comme le psychanalyste, en embuscade, en alerte, attentif au moindre geste, à la moindre intonation. Et puis le film offre aussi un regard analysant sur l’analyste : par exemple cette série de questions sur le couple : tous ces patients se désirent et s’aiment ; il n’y a pas de couples problématiques dans ce film : pas de violence, pas de féminicide, seulement du désir. Oh et la belle nouvelle de la prégnance !
« Et d’après vous qu’est-ce qui a favorisé cette grossesse ? » Énorme.
Bon, je commence à trépigner sur la fin. Cela sent trop le convenu. « Nous sommes des êtres parlants et c’est ce qui fait notre humanité. » Alors, petit un, tous les humains ne parlent pas, certain·e·s sont muet·te·s et petit deux, l’humanité, comment dire, l’humanité, voilà, c’est toi et ton petit monde parisien, ton psychanalyste qui vient en vélo à son cabinet pour te recevoir sur un divan dont je n’ose pas imaginer le prix, tous ces blancs bien portants et bien pensants : c’est ça l’humanité, elle est bien étique, toute restreinte au confort des villes et au luxe des campagnes. L’humanité peut bien crever, elle n’emportera pas la vie des « exprimants », ni celle des « imprimants », qu’ils soient primates ou batraciens, qu’ils laissent leur trace dans la boue ou le bois. L’humanité parle ou se tait, fait vibrer cordes vocales et tympans ou les cœurs et la peau ; mais pas souvent tousse ensemble .
« Beh ! La contrainte. »