Nous étions sur le point de faire la révolution féministe… et puis le virus

“Colette Guillaumin affirmait dès 1978 que le « confinement dans l’espace » constituait l’un des puissants moyens de l’appropriation des femmes. Silvia Federici a montré plus récemment que cet enfermement dans l’espace domestique à partir de la fin du Moyen-Age en Europe, par le biais d’une extrême violence (plus d’un siècle de chasse aux sorcières), avait grandement contribué à l’accumulation primitive à partir de l’exploitation indirecte du travail des femmes dans la sphère de la reproduction sociale.”

“Alors si le virus n’est rien et si « le coup du virus » n’est qu’un prétexte à une sorte de « coup d’état sanitaire », notons que l’utilisation habile du Corona est quand-même un sacré coup de génie qui permet de mettre en place des stratégies de sécurité intérieure, de gouvernement des populations, particulièrement perverses. Et plutôt nouvelles. En effet, c’est le virus qui nous est présenté, officiellement, comme notre ennemi, un ennemi qui s’avère particulièrement vicieux pour un ensemble de raisons enchevêtrées.”

“Du coup, le virus porte un coup fatal aux rapports humains (et au travail, et aux loisirs) comme nous l’entendions le plus souvent, faits de proximité, de rencontres in real life et de contacts avec les autres… Finie l’innocence des marchés animés, des réunions amicales ou familiales, des flâneries dominicales dans les parcs —pour des semaines, des mois au moins, jusqu’au vaccin. Ou plus. Car il y a fort à parier que certaines habitudes vont perdurer, d’autant que les virus, comme on l’a dit, co-évoluent avec « nous » et qu’à chaque instant, peuvent en apparaître d’autres. Sans compter qu’il risque d’être difficile de modifier la nouvelle organisation du travail que les gouvernements déploient un peu partout, sur le plan matériel comme sur le plan légal (développement du télétravail, travail forcé sur réquisition, mise à mal des limitations horaires, hebdomadaires et annuelles).”

"La nouveauté, alors, où est-elle ? Dans le nouveau mode de gouvernance globale qui se met en place sous nos yeux, avec l’assentiment d’une bonne partie de l’opinion qui rêve d’être protégée des autres, et même d’elle-même. Un nouveau mode de gouvernance qui consacre le rôle central d’un nouvel-ancien acteur : le complexe militaro-industriel. En effet, ce que beaucoup considèrent comme une sorte de « coup d’état sanitaire » à la faveur de ce brave Corona, je propose de le penser plus précisément comme un coup d’état militaro-industriel global "

“Résumons l’hypothèse : le Corona qui nous a tou-te-s surpris-es au tournant de cette année de grâce 2020, d’où qu’il vienne et où qu’il aille, est en train de servir à une sorte de coup d’Etat global « parfait » du complexe militaro-industriel remanié, aux mains d’un Big brother technologico-médical. Il permettra d’ouvrir de nouveaux marchés pour les nouveaux produits de surveillance, de contrôle et de coercition qui viennent fort à propos « tirer » la croissance d’un PIB qui semblait avoir atteint sa limite —qu’il s’agisse des ressources ou de la baisse tendancielle du taux de profit. Ce faisant, il assied un ensemble de systèmes politiques et sociaux qui fleurent bon l’hygiénisme, le darwinisme et l’amour de l’ordre, de la discipline et du travail.”

" Que faire, alors ?

Revenons, enfin, à la question initiale : y a-t-il une tâche révolutionnaire en ce moment et laquelle ? J’avoue que je ne sais pas. Tout ce qui peut nous amener à révertir ce coup d’état global. C’est localement qu’il faudra nous y prendre. Virer nos dirigeant-e-s politiques et économiques, au Sud et au Nord, nationaux, supranationaux et régionaux. Repenser le travail, sa division, sa rémunération, son sens. A résoudre ce fichu problème de l’argent (il n’y en aura jamais assez pour tout le monde). Mettre à plat des frontières et des relations internationales issues de la colonisation. Abattre le capitalisme. Qui est bien sûr raciste-colonial et hétéro-patriarcal. Et surtout, trouver les moyens de refaire du lien, de démythifier les récits grandiloquents, alarmistes, trompeurs, culpabilisants et infantilisants des gouvernements.

Et pour le moment, parmi toutes les luttes presque invisibles et pourtant capitales que les un-e-s et les autres mènent, dans les Suds comme dans le Nord : libération des migrant-e-s, des réfugié-e-s et des personnes emprisonnées en général, hébergement et appui aux personnes sans logis et sans rémunération. Fin des violences policières et de la discrimination systématique des quartiers populaires. Augmentation de X mille euros pour toutes les femmes, en commençant par les femmes de ménage, les caissières, les infirmières, les aides-soignantes, les aides-maternelles, les ouvrières, les paysannes et les enseignantes (non, ça je rigole, personne n’a pensé à le demander). Dès que possible : collectivisation à échelle locale de l’outil productif, en commençant par ce qui touche la santé, l’alimentation, le logement et le transport. Défense, récupération et gestion partagée de la terre, de l’eau, de l’air, des forêts et de diversité du vivant. Restriction absolue du domaine de la finance, restriction drastique des logiques de marché capitalistes (en vue de leur extinction rapide), extension du domaine des communs et de la délibération populaire. Et puis surtout, surtout : rire, aimer, chanter, partager. Et pourquoi pas, revendiquer avec María Galindo et les pauvres de la terre, les toujours déjà mort-e-s et autres incurables rebelles, une désobéissance virale."