Les féministes s'organisent

Depuis deux mois il aparaît clair aux yeux de tous et de toutes que les atteintes aux libertés généralisées nuisent de façon bien plus fortes aux personnes fragilisées, et parmi elles les femmes et personnes racisées. Ce sont elleux nous le savons qui soutiennent le monde par leur travail reproductif, mais ce sont rarement elleux qui ont la parole.

Voici les appels à l’organisation transfrontalière de Ni Una Menos

Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité était justement le problème : l’ensemble du mouvement féministe et transféministe face à cette nouvelle crise mondiale, sanitaire, économique et de l’écosystème, ne cède pas à l’isolement, et ne taira pas ses luttes devant les mesures restrictives mises en place dans nos territoires pour faire face au coronavirus. Partout dans le monde, il y a des femmes, des lesbiennes, des travesti·e·s, des trans et des personnes non-binaires qui refusent de se soumettre aux violences exacerbées par la pandémie. Elles commencent à s’organiser en partageant leurs pratiques rebelles, renforcées et encouragées par la puissance des dernières années de grèves féministes mondiales.

J’en reproduis le texte intégral ici pour faciliter la lecture de tou·te·s

MANIFESTE FÉMINISTE TRANSFRONTIÈRE

Pour sortir ensemble de la pandémie et changer le système.

Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité était justement le problème : l’ensemble du mouvement féministe et transféministe face à cette nouvelle crise mondiale, sanitaire, économique et de l’écosystème, ne cède pas à l’isolement, et ne taira pas ses luttes devant les mesures restrictives mises en place dans nos territoires pour faire face au coronavirus. Partout dans le monde, il y a des femmes, des lesbiennes, des travesti·e·s, des trans et des personnes non-binaires qui refusent de se soumettre aux violences exacerbées par la pandémie. Elles commencent à s’organiser en partageant leurs pratiques rebelles, renforcées et encouragées par la puissance des dernières années de grèves féministes mondiales.

Cette crise dévoile et intensifie les violences, les hiérarchies et les racines structurelles de l’oppression, de l’exploitation et de l’inégalité produite par le patriarcat capitaliste colonial, contre lesquelles nous avons toujours lutté et continuerons de lutter. C’est précisément dans les tensions et les fractures ouvertes par cette crise qui émergent de nouvelles formes de résistance et de solidarité, dont nous faisons partie et que nous voulons rejoindre. C’est avec notre voix collective que nous voulons les faire résonner partout afin qu’ensemble nous puissions sortir de l’isolement et saper les paradigmes dominants, en affirmant les savoirs et les pratiques féministes, transféministes et anti-patriarcales.

Le coronavirus frappe tout le monde, mais les effets de la pandémie sont différenciés, d’autant plus si nous les envisageons dans une perspective transfrontière qui part de nos situations de femmes, de lesbiennes, de travesti·es, de trans et de non-binaires.

On nous a dit de rester à la maison, sans tenir compte du fait que le foyer n’est pas un lieu sûr pour beaucoup d’entre nous et qu’il y a des personnes qui n’ont même pas de maison. Les féminicides et la violence envers les femmes et les dissidences se sont intensifiés depuis le début de cette crise et les mesures de quarantaine et de couvre-feu ont rendu plus difficile notre rébellion contre la violence machiste et l’expression de notre désir de liberté et d’autodétermination.

La crise met à mal les différentes conditions matérielles de la reproduction, en intensifiant et en rendant plus précaire le travail productif et reproductif des femmes et des dissidences : alors que celles-ci ont toujours été invisibilisées et exploitées, leur utilité devient aujourd’hui manifeste, ce qui met en évidence leur centralité politique tel que nous l’avons toujours affirmé.

D’une part, le système patriarcal se décharge sur les femmes des soins aux personnes âgées et aux enfants, ce qui augmente la charge du travail domestique. D’autre part, dans cette situation d’urgence, de nombreuses femmes – infirmières, médecins, femmes de ménage, caissières, ouvrières, pharmaciennes – se retrouvent en première ligne, à travailler dans des conditions dangereuses pour leur santé, avec un temps de travail rallongé et souvent pour des salaires de misère.

Les travaux ménagers et de soins, ainsi que de nombreux emplois précaires ou de l’économie informelle, sont souvent effectués par des femmes migrantes, afrodescendantes, noires ou indigènes. Elles sont aujourd’hui licenciées, elles se retrouvent sans permis de séjour et n’ont plus la possibilité de subvenir à leurs besoins ou de payer leurs frais médicaux. Elles sont donc plus vulnérables aux attaques racistes et aux conséquences sanitaires et économiques car elles vivent souvent dans les zones les plus peuplées et les plus pauvres et sont plus exposées à la contagion.

Nos vies sont sacrifiées pour faire face à cette crise, alors que les corps et les capacités qui ne sont pas considérées comme productives, comme celles des personnes en situation de handicap, sont totalement invisibles et sans protection.

Dans les communautés indigènes et des peuples originaires, les femmes se voient obligées d’intensifier leur travail de soins et de soutien à la vie tout en continuant de produire la nourriture nécessaire pour faire vivre les villes, mettant en évidence leur rôle central dans la mobilisation et la production alimentaire en même temps qu’elles développent des mesures d’entraide pour faire face à la pandémie.

Certains pays n’ouvrent leurs frontières aux personnes migrantes que lorsque leur travail est jugé nécessaire pour assurer la chaîne agroalimentaire en période de pandémie. D’autres pays ferment leurs frontières autant à leurs habitants qu’aux personnes migrantes abandonnées dans des camps de réfugiés surpeuplés et violant leurs droits à la santé et au retour au territoire.

Sur les multiples fronts de guerre et dans les territoires en résistance, tels que les territoires kurdes ou palestiniens, l’invasion et l’occupation impérialiste et patriarcale complique les possibilités de recevoir des traitements adéquats, en intensifiant l’attaque portée à la révolution des femmes kurdes et à la lutte de toutes les femmes qui veulent se libérer de la domination coloniale et patriarcale.

Alors qu’aujourd’hui, plus que jamais, la santé et la vie s’imposent comme des enjeux collectifs et politiquement centraux, des années de politiques néolibérales ont imposé, avec plus ou moins d’intensité, une logique de responsabilité individuelle de gestion. Dans de nombreux pays, le système de santé et de protection sociale a été affaibli par des coupes budgétaires laissant des milliers de personnes sans médicaments et les obligeant à faire face aux défaillances des États. Des réseaux de solidarité et de soutien pour se soigner les un-e-s les autres se sont constitués. Dans d’autres pays, en revanche, où il n’y a jamais eu de système public de santé et de protection sociale, la situation a été encore aggravée par la mise en œuvre généralisée de plans d’austérité et d’ajustements économiques. De plus, dans de nombreux cas, la crise est utilisée pour restreindre encore davantage les droits et libertés sexuelles et reproductives des femmes et des dissidences.

D’autre part, le néolibéralisme montre son visage le plus brutal par la militarisation et la sécurisation des milieux urbains et ruraux et des territoires indigènes par les forces armées. Ils profitent de l’urgence et de la fragilité démocratique préexistante des gouvernements pour faire taire toute trace de révolte, pour criminaliser les réseaux de solidarité émergents et assurer la chaîne de commandement de l’État, qui devient toujours plus autoritaire et répressif.

Et, enfin, il devient encore plus évident qu’il n’est pas possible d’accepter la dévastation de l’environnement et des écosystèmes qui, tout en subordonnant chaque espèce vivante et chaque ressource naturelle aux besoins de profit du capital, favorise ces mêmes déséquilibres qui ont permis la propagation du coronavirus. L’extractivisme, la production alimentaire industrielle à grande échelle, les monocultures intensives et la pollution condamnent des millions de personnes à une nouvelle crise alimentaire qui est sans précédent.

La pandémie dévoile que l’organisation capitaliste, patriarcale et coloniale de la société n’est pas durable et révèle la crise préexistante du néolibéralisme. Notre lutte ne doit pas seulement viser notre survie face à la contagion, mais doit aussi apporter des solutions aux immenses conséquences que cela aura sur nos conditions économiques et matérielles.

Nous pensons que les réponses des gouvernements sont totalement insuffisantes et nous rejetons toutes les politiques qui continuent de financer les entreprises au lieu de la santé et qui profitent de la pandémie pour consolider les projets extractivistes. Bien que les mesures étatiques soient hétérogènes, la réponse capitaliste à la crise suit la même logique partout dans le monde : faire reposer sur nous le prix de cette crise tout en produisant des effets qui ne seront pas temporaires, afin de faire passer leurs profits avant notre vie. Nous ne voulons pas sortir de cette « urgence» encore plus endettées et appauvries ! Nous voulons une sortie de crise féministe transfrontière afin de ne plus revenir à une «normalité» basée sur l’inégalité et la violence.

Dans tous les quartiers populaires, des protestations au balcon sont organisées pour dénoncer l’augmentation des féminicides et de la violence domestique. Partout dans le monde, les travailleuses domestiques dénoncent leur précarité totale et leur absence de droits. Les infirmières et les médecins protestent contre le manque de matériel de protection, et déclarent qu’on ne peut pas disposer de leurs vies à n’importe quel prix. Les travailleurs-ses des entrepôts logistiques et des usines font grève pour refuser le sacrifice de leur santé au profit des entreprises. Dans les communautés, les femmes indigènes continuent de lutter contre la mise en œuvre de projets d’extractions et l’appropriation illégitime des territoires et des ressources communautaires. Dans chaque prison, les détenu·e·s – parfois suite à leur participation à une lutte – dénoncent les conditions inhumaines d’enfermement au sein d’un système carcéral militarisé et extrêmement raciste. Partout, les afrodescendant·e·s et les noir·e·s dénoncent le racisme institutionnel dans la gestion de la pandémie et les personnes migrantes réclament des papiers pour ne plus être soumis à des conditions qui intensifient l’exploitation et la violence. Les travailleurs·ses du sexe réclament toujours la dépénalisation de leur travail afin de ne plus être exclu·e·s des minimas sociaux et stigmatisé·e·s par le système patriarcal, capitaliste et colonial. Au Rojava, les femmes kurdes, en pleine résistance historique à la guerre, réagissent à la pandémie en renforçant leur auto-organisation confédérée au-delà des frontières, la santé de leur communauté et en étendant les réseaux d’une économie autogérée et écologique.

Depuis nos différentes conditions matérielles, la pluralité de nos langues, l’hétérogénéité des pratiques et la complexité des discours, nous nous engageons à soutenir, renforcer et entrelacer nos luttes, résistances et formes de solidarité, comme celles qui émergent spontanément au niveau mondial et qui sont centrales pour relancer nos futures initiatives. Ce que la grève féministe mondiale nous a appris au cours de ces quatre dernières années, c’est que, ensemble, nous avons plus de force pour nous rebeller contre la « normalité » patriarcale et oppressive et que, maintenant plus que jamais, nous devons unir nos voix, qui se comptent par millions, afin d’éviter la fragmentation que la pandémie nous impose. En ce moment, nous ne pouvons pas emplir les rues de notre pouvoir féministe, mais nous continuerons de crier toute notre colère, en désignant les coupables, contre la violence de ce système qui nous exploite, nous opprime et nous tue. Nous voulons être toujours plus nombreuses en première ligne.

Nous n’allons pas arrêter ce processus de libération féministe transfrontière que nous tissons collectivement et que nous étendons, et nous continuerons la lutte pour construire la vie que nous voulons et désirons vivre.

Nous appelons toutes celles et tous ceux qui rejettent la violence patriarcale, l’exploitation, le racisme et le colonialisme à se mobiliser et à s’unir pour enrichir et renforcer la lutte féministe mondiale, car si nous sommes uni·e·s, nous pouvons sortir de la pandémie et tout changer.

DEBOUT CELLES QUI LUTTENT !

FÉMINISTES TRANSFRONTALIÈRES

**Nous sommes un espace féministe, transféministe et anti-patriarcal en pleine expansion et nous vous invitons à nous rejoindre et à nous contacter si vous souhaitez en faire partie.

ALAMES (Équateur)
**Association stop violéncies (Andorre)
Bibi Ni una menos - Soriano (Uruguay)
Cabildo de mujeres (Equateur)
Creando Juntas (Equateur)
Collecti.e.f 8 maars (Belgique)
Coordination Feministe 8M (Chili)
Democracia Socialista (Argentine)
Desmadres (Uruguay)
Disidentes Violetas (Equateur)
Feministas Autónomas (Bolivie)
Feministas con voz de maíz (Mexique)
Des féministes des Pays-Bas (Pays- Bas)
Groupe International de la Grève Féministe #14Junio (Suisse)
Groupes Régionaux du réseaux pour la Grève Féministe en Allemagne (Stuttgart, Berlin, Augsburg, Frankfurt/Main,«Gemeinsam kämpfen», Leipzig)
International Women’s Strike (USA)
Luna Creciente (Equateur)
Minervas (Uruguay)
Mouvement des femmes Kurdes en Amérique Latine (Kurdistan)
Nina Warmi (Equateur)
Ni Una Menos (Argentine)
Non Una Di Meno (Italie)
Opinión Socialista (Argentine)
Parlement Plurinacional de Femmes et de Féministes (Equateur)
Radical Women/Mujeres Radicals (Australie & USA)
Réseaux de féministes populaires et de base (Uruguay)
Revue Amazonas (Equateur)
Toutes en Grève (F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒)
Unidad Latina en Acción (USA)

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