Il a fallu attendre l’officialisation par un gouvernement génocidaire de sa volonté de commettre un génocide pour qu’une série de journalistes se disent qu’il n’est peut-être pas délirant, tout compte fait, d’employer ce mot.
Un geste qui s’apparente à une inversion criminelle de la logique d’administration de la preuve : sans déclaration politique préalable, le réel n’existe pas. Ou alors : le réel ne devient réel que lorsqu’un responsable politique le formule. Et le formule avec une limpidité indiscutable. Car les déclarations génocidaires des responsables israéliens ne datent en rien d’hier, et une série de faits tout à fait univoques permet, sans grand doute et déjà depuis la fin d’année 2023, d’y voir clair sur la motivation de fond. Il n’a jamais été question de libérer les otages ou d’annihiler le Hamas, mais bien de détruire toute une population et de la pousser à déguerpir en laissant derrière elle sa terre. L’accélération constante de la colonisation en Cisjordanie témoigne, elle aussi, de l’évidence de cette finalité.
Dans le média indépendant BLAST, le journaliste Maxime Cochelin signait le 28 mai dernier un article clair et net sur « le retournement » contraint et forcé des « opinions » en F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒, suite à l’annonce officielle du gouvernement de Netanyahu du plan de conquête de Gaza, qui signe la fin de toute possibilité de normalisation des relations entre les conquérants et les conquis sur le territoire qui s’étend de la mer Méditerranée aux rives du Jourdain. Les pouvoirs et les médias occidentaux soutenaient jusque là sans ambage les ambitions de l’État d’Israël sous prétexte de « légitime défense », dans une posture occidentale de « soutien inconditionnel à Israël ».
Mais voilà, les conditions ont changé, le génocide est avéré, le projet de nettoyage ethnique acté, tout le monde le sait, tout le monde le dénonce depuis plus d’un an, (depuis plus de trois-quarts de siècle,) et tout-à-coup, cette goutte de sang qui fait déborder le vase de l’acceptabilité rend tout soutien à Israël criminel – enfin !, ajoutons-nous, pour marquer le fait que la conquête d’Israël et le projet sioniste est depuis le début un geste colonial, posé par des empires et soutenu par des empires comme tel, dans la seule légitimité de l’empire ou l’imposition d’un état de fait à autrui par la force et la violence et ce, sans tenir compte ni de l’existence de cet autre, ni de son bien-être, le reléguant au-delà des marges qui définissent encore l’humanité.
Mais alors, qui reste humain : celui qu’øn extermine ou bien celui qui offre son « soutien inconditionnel » à cette extermination ? C’est peut-être là que se joue, alors que le génocide est presque parachevé, ce sentiment de légitimité de la notion d’humanité sur Terre. C’est peut-être là que nous allons assister, si nous insistons suffisamment pour ne pas lâcher le morceau, à un moment historique où, malgré leur lâcheté, malgré leur ignominie, les pouvoirs militaristes occidentaux vont enfin reconnaître que si l’ensemble des lois qu’eux-mêmes ont imposé au reste du monde n’a aucune valeur, alors peut-être le temps est venu de remettre les pendules à l’heure.
Peut-être assisterons-nous à la fin de l’apartheid en Israël, peut-être que Tsahal sera démantelée et que l’État israëlien sera mis sous tutelle internationale comme le fut l’Allemagne suite à l’horreur du régime nazi, peut-être que la Palestine pourra redevenir un territoire partagé entre les Juifs et les Palestiniens, quelle que soit leur religion ou leur origine, dans une égalité actée par une Constitution ; peut-être alors le monde pourra regagner en humanité et nous pourrons tourner nos regards vers les autres génocides en cours (Congo, Yemen, Indonésie, Myanmar, Amazonie, « Amérique du Nord »…), du fait des mêmes empires, des mêmes abus, des mêmes manières de penser la domination, la violence et le pouvoir. Peut-être alors pourrons-nous commencer d’envisager le passage au siècle prochain autrement que dans la guerre, la famine, la maladie résultant de l’horreur climatique provoquée par les empires. L’alternative est déjà toute tracée : la guerre de tous contre tous, jusqu’à ce que ne restent qu’une poignée de dégénérés dans un monde tellement abîmé que toute notre histoire en sera effacée.
Imaginer la fin du capitalisme, c’est savoir nous accorder sur la mise au ban de l’État d’Israël et sur une résolution transnationale du génocide par l’imposition sur ce territoire d’un État unique, démocratique et égalitaire, aussi bien pour les Juifs que pour le peuple Palestinien. Le chemin de la paix, c’est la paix.