Éditions petites singularités

Il me semble que c’est cette phrase qui est la plus controversée dans la lecture de @sungja – je te remercie d’ailleurs grandement de cette lecture.

Pour aller dans le sens de l’analyse de @natacha et compléter son propos, je dois fournir deux sources pour ce qui concerne la technique et le collectif.
La première c’est Gilbert Simondon – dans une lecture politique partagée avec Muriel Combes et Bernard Aspe – qui m’inspire ce terme de « replacer », car au centre de la production technique aujourd’hui il y a les corporations et non l’humain[1] ; celui-ci est rejeté aux marges que ce soit dans l’esclavage à la source de l’extraction minière et dans le « traitement » des déchets, ou que ce soit dans la consommation de produits « déjà pensés, déjà conçus » et ce, hors de toute entente égalitaire entre humains. Il s’agit bien d’une exploitation pure et dure dans le sens du contrôle des populations humaines par les systèmes globalisés qu’on appelle corporations – par opposition aux peuples susceptibles d’égalité, une égalité prise comme point de départ de la notion de politique (voir Jacques Rancière).
La seconde provient de mes lectures en cours sur les travaux menés par Jean Oury et à sa suite Emmanuelle Rozier sur la notion du collectif. Pour l’instant je ne peux que les donner en référence, ma réflexion est encore trop nébuleuse pour pouvoir en donner un quelconque aperçu. Je me contenterai d’énoncer que cette notion de collectif ne renvoie pas à une globalité mais à un processus vivant d’introspection commune entre égaux, c’est-à-dire partant du principe de l’égalité. Cela n’a rien d’abstrait : il s’agit au contraire de pratique(s) quotidienne(s) prenant en compte les singularités de chacun·e dans un devenir, d’un en-cours, en cours de matérialisation, en cours d’individuation, de concrétisation dirait Simondon.

On relira donc cette injonction que « la théorie doit informer l’acte » selon cette perspective de la primauté du chemin emprunté sur tout idéal déposé ou dépositaire d’un temps linéaire – passé, présent ou futur – autre que celui que nous partageons – le temps commun, avec cette conviction politique de notre égalité, elle-même paradoxalement contraire au fait de nos petites singularités. Mais la contradiction est elle-même inscrite au cœur de la matière ; peut-être la différence entre « nous » et « eux », c’est qu’ils aspirent au pouvoir, à la domination, c’est-à-dire au déhanchement de la matière sur un axe binaire (« eux » ou « nous ») alors que « nous » aspirons à faire un pas de côté, hors de cet axe simpliste, pour dévoiler ce « nous » dont « eux » qui, jusqu’à preuve du contraire, semble gouverner la vie complexe sur son unique vaisseau à notre portée.


  1. et même là on devrait remplacer le terme « humain » par « vivant » afin de prendre en compte l’invisible de la main basse extractiviste sur les soit-disant « ressources naturelles ». Mais il me semble que la lutte pour un humanisme au XXIème siècle est un pas nécessaire de la lutte pour le vivant dans son ensemble – et @natacha ajouterait, avec Elizabeth Povinelli : « et le non-vivant également ». ↩︎