Session du 18 septembre 2017

À propos de Jacques Bertin, un article intéressant, avec un début de perspective critique

[…] le traité de Jacques Bertin s’est imposé comme une sorte de doxa cartographique et a modelé la pratique de générations de cartographes depuis les années 1970.
[…] L’un des aspects les plus surprenants de l’ouvrage de Bertin est qu’il semble ne puiser à aucune source. « La Sémiologie graphique est un livre unique, écrit C. Koeman en 1971. L’absence d’une bibliographie et de notes justifie par elle-même cette épithète. »
[…] Si Bertin prétend laisser de côté la théorie de l’information, son traité porte la marque du fameux modèle de la communication de Shannon et Weaver (1948) visant à la transmission optimale des messages. Le schéma « source → émetteur → canal → récepteur → destinataire » met l’accent, au-delà du « canal » (qui peut être une carte) sur les processus au sein d’un système, et propose surtout d’accorder les caractères sémantiques des messages avec les capacités des destinataires.
[…] Dès 1971, C. Metz estimait que Bertin aurait pu se préoccuper d’étudier les liens qui unissent le code technique de la graphique aux « multiples codifications socioculturelles que l’on peut voir à l’œuvre dans la civilisation où les graphiques sont en usage » (Metz, 1971, 766). Dans l’introduction nouvelle de l’édition de 1973 de la Sémiologie, Bertin règle le problème en proclamant que la graphique est un « système monosémique », ce qui évacue a priori toute interprétation ou discussion :
« Cette distinction est fondamentale car elle donne tout son sens à “la graphique” par rapport aux autres formes de visualisation. Qu’est-ce, en réalité, qu’employer un système monosémique ? C’est consacrer à la réflexion un moment pendant lequel on cherche à réduire au maximum la confusion, pendant lequel, dans un certain domaine et pour un certain temps, tous les participants s’accordent sur certaines significations, et conviennent de ne plus en discuter » (Bertin, 1973).
C’est une posture assez extravagante et pourtant régulièrement ressassée.
Son enjeu est clair : maîtriser la communication, et poser les règles d’un système « purifié », c’est-à-dire exclusivement scientifique, rigoureux et neutre. C’est oublier que même si une légende prédéfinit une signification, un signe peut toujours en revêtir d’autres à la lecture. Un signe n’est jamais purement dénotatif, il connote également, et toutes ses connotations sont transférées sur l’objet. Une carte a plus qu’un sens littéral : elle développe aussi des significations métaphoriques, ou symboliques.

1 Like