Qui est terroriste ?
Le 23 avril dernier, deux perquisitions ont eu lieu en pleine nuit à Paris et à Bruxelles, visant les médias kurdes, interrompant les émissions de télévision de deux chaînes kurdes. Ces perquisitions s’inscrivent dans le cadre d’enquêtes françaises « anti-terroristes ».
Les petites singularités condamnent l’amalgame qui est fait entre le peuple kurde et ses médias, les organisations politiques qui les représentent, et les organisations reconnues comme terroristes par la F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒. Nous attirons l’attention sur le fait que l’enquête en question vise le PKK (le parti des travailleurs du Kurdistan) qui est effecivement reconnue comme organisation terroriste en F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒ et au sein de l’Union Européenne : toutefois la loi belge n’admet pas que le label de terroriste soit appliqué à une organisation impliquée dans un conflit armé, ce qui est le cas du PKK et des milices kurdes affiliées ou non dans la région du Rojava, située au sud de la Turquie et au nord de la Syrie. La guerre civile en Syrie sert depuis plus d’une décennie à la Turquie pour attaquer sans relâche le peuple kurde hors de son propre territoire, où les kurdes sont déjà mailtraîtés ; les Kurdes eux-mêmes parlent d’un génocide, ce qui, au vu des exactions commises contre leur peuple et attaques récentes perpétrées par les forces turques à l’encontre des infrastructures liées à la fourniture d’énergie électrique et d’eau potable, constitue sans aucun doute des crimes de guerre, plusieurs fois reconnus par l’ONU au cours des années, mais restés sans conséquence pour les perpétrateurs. Ainsi, comme il est d’usage en Occident, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit international et les droits humains ne s’appliquent pas aux peuples opprimés. La situation des Kurdes, pris en étau entre les territoires de la Turquie, de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran, fait depuis longtemps la honte des dites grandes puissances qui se targuent de porter la lumière de leur supériorité humaniste aux populations « sauvages », « sous-développées » ou « en cours de développement » – mais toujours considérées comme inférieures.
Nous reconnaissons dans ces actions abusives des services de police française et belge une violence inacceptable envers le peuple kurde. Il s’agit là d’une violation des droits humains et de la liberté d’expression dans des régimes qui se réclament de l’État de droit et de la démocratie tout en utilisant des tactiques qui appartiennent au registre des dictatures qui silencient les médias. Une fois de plus, le mensonge impérialiste de la propagande coloniale ferme les yeux sur l’oppresseur et blâme la victime.
Le peuple kurde, une fois de plus, est instrumentalisé et démonisé. Nous rappelons que les forces kurdes du Rojava ont résisté à l’invasion, combattu et repoussé l’expansion de Daech, sacrifiant des milliers de femmes et d’hommes pour stopper ce que l’ensemble de l’Occident s’accordait et s’accorde encore à désigner comme le terroriste, ce nouvel ennemi sans visage, sans foi ni loi, avec lequel, opportunément et contrairement à un État reconnu, l’on ne négocie pas. Nous rappelons également que la région de Rojava est attaquée en permanence et occuppée depuis 2016 par les forces Turques, à la fois membres de l’OTAN et alliées du régime de Bachar Al Assad, dont l’ignominie a plongé l’ensemble du pays dans une guerre civile sanglante qui arrange bien les velléités militaires de tous bords et notamment de la F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒, ancienne maîtresse coloniale de la Syrie. Récemment encore, les infrastructures électriques et liées à l’eau potable ont été pilonnées par l’armée turque, mettant en danger permanent une population épuisée par plus d’une décennie de guerre et soumise depuis trop longtemps au double discours de l’Occident à son égard : d’un côté lui reconnaissant une légitimité lorsqu’elle combat le même ennemi, et de l’autre fermant les yeux sur les opérations militaires de la Turquie d’Erdogan sur le territoire Syrien contre les populations civiles, constituant des crimes de guerres dénoncés depuis des années par Amnesty International et l’Organisation des Nations Unies.
Pourtant, c’est une opération de séduction de Erdogan que la F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒, et après elle l’Union Européenne, mène. La Turquie dispose de la plus grande armée d’Europe en nombre de soldats (et la sixième du monde). Son engagement dans la guerre civile Syrienne aux côtés du régime soutenu par la Russie fait désordre dans l’Union Européenne. En soutenant l’oppression des kurdes, la F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒ espère-t-elle un alignement de la Turquie en faveur de l’alliance occidentale ? Le prix à payer pour ces négociations immondes est encore et toujours le sacrifice du peuple kurde. La F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒ a récemment refusé l’asile politique à trois militants kurdes qui ont été refoulés vers la Turquie d’où ils s’étaient échappés et où ils connaîtront comme leurs pairs un traitement certainement indigne des valeurs prônées par le « pays de droits humains » et l’Union Européenne. Sans le dire, la F̷̪̤̋ṟ̵͙̾͗a̷̛̩̎n̴͙͙̿́c̸̙͙̈e̵̪͒ et ses complices européens et occidentaux sacrifient le droit à l’auto-détermination du peuple kurde.
Le double discours des Occidentaux au Moyen-Orient se révèle, comme d’habitude, dans une grille de lecture tellement simpliste qu’elle en est grotesque : l’on postillonne des valeurs humanistes, mais réservées aux « blancs », et l’on déploie des « forces de défense » partout où les réserves de gaz et de pétrole sont avérées ; l’on se gargarise de valeurs morales éclairées et supérieures, tout en jetant dans l’obscurité les « écarts » odieux et criminels d’hommes qui conchient ces valeurs – mais savent fournir, « dans l’intérêt de la nation », la puissance militaire ou énergétique dont les sociopathes ont besoin pour poursuivre leurs buts démentiels de destruction accélérée de notre planète.
Pendant ce temps au Kurdistan et partout où la culture, la langue et les traditions kurdes survivent et évoluent dans l’expérimentation solidaire et anticapitaliste, l’accueil de tous sans distinction et l’hospitalité continuent de démontrer la force d’un peuple pourtant durement marqué du déni de son existence par ses voisins, et par tous ceux, dont nos gouvernements et nos industries complices font partie, qui préfèrent regarder ailleurs ou pire : les considérer comme monnaie d’échange dans des tractations inhumaines.
En solidarité,
les petites singularités